lundi 13 avril 2009

de l'art et des manières d'apprécier le ti'punch



Pour les amateurs, les connaisseurs, les passionnés, les curieux et tous les autres ...





nous avons le plaisir de reproduire ici - avec la permission de son auteur : Chris, un connaisseur amoureux de la Côte-sous-le-Vent et de Marie-Galante, gastronome et poète - un texte qui va vous parler, vous éclairer, vous donner envie ...

.... réunissez vos amis, préparez quelques accras puis installez-vous confortablement et imaginez :

imaginez les plages, le coucher du soleil, les palmiers se balançant doucement, la douceur du soir, et écoutez la belle histoire, laissez-vous envahir par les mots et les saveurs qu'ils suggèrent ...


Oui ... tous ceux qui y sont allés le savent : le Ti' punch, en Guadeloupe, c'est une institution ... En Guadeloupe, et encore plus à Marie-Galante, cette petite île paradisiaque où l'on fait le meilleur rhum des Antilles ...



Une institution, et même plus que ça : un rituel ...



Pour la plupart d'entre-nous ne connaissons que le Ti' punch du soir, à l'heure de l'apéro. Celui qu'on vous propose chez les amis ou dans les petits restos où le patron vous pose sur la table la bouteille de rhum agricole, le sucre de canne en poudre, le citron vert et le couteau ... et vous laisse vous débrouiller et gérer à votre guise «la modération» (pardon : la « modéwation » !) pendant que la patronne prépare le repas.

Celui-là, c'est le Ti' punch classique : du sucre de canne en poudre, un quartier de citron vert un peu écrasé, et un bon un trait de rhum blanc agricole. Et voilà un « CRS » (citron, rhum, sucre), comme on dit en Guadeloupe, le plus simple et le plus authentique des ti' punchs, une merveille d'arômes et de saveurs.
Ahhh ... vous vous attendiez au sirop de canne ? Non non, pas du tout ! Ce Ti' punch authentique se prépare « au sucre », c'est à dire avec du sucre de canne roux en poudre, tout simplement.


Mais ce grand moment se prépare avec soin ... et le rituel fait indéniablement partie du plaisir : les images, les odeurs, les gestes, il faut que tout se combine pour se préparer au paradis !

Attention ! C'est le maître de maison qui officie, personne d'autre ! Il a devant lui tous les ingrédients de la potion magique et tout en discutant, il prépare les verres ...
Les petits quartiers de citron vert sont taillés sur une planchette et mis en attente ... Puis, dans chaque verre, le maître de maison verse le sucre en poudre, à la cuillère. Ici intervient un geste éminemment technique : le pressé-tombé (« pwessé-tombé ») : le petit quartier de citron vert est pressé entre deux doigts au dessus du sucre en poudre dans le verre, et lâché exactement synchro avec la chute de la dernière goutte de jus ...
Maintenant, le rhum agricole est versé dessus : une bonne et franche rasade, savamment ajustée par quelques subtils basculements de goulot...









Du rhum blanc agricole, oui, mais attention : pas n'importe lequel ! Dans chaque famille on a sa préférence, et pour rien au monde on ne ferait des infidélités à «sa» distillerie préférée ! Pour nous autres, piètres (mais zélés) amateurs, tous les bons rhums agricoles se ressemblent, mais les connaisseurs peuvent vous distinguer toute une gamme d'arômes et autant de «grands crus» qui traduisent le savoir faire ancestral des distilleries artisanales. Les rhums de Marie-Galante passent pour les plus subtils, les plus aromatiques ... En tout cas, ce sont les plus forts : 59 ° pour certains, parmi les plus cotés.


Il reste à remuer pour mélanger le tout et pour faire fondre le sucre (qui, d'ailleurs, ne fondra jamais complètement, ça fait partie du jeu ... - voir plus loin). Le maître de maison vous remue votre Ti' punch avec une petite cuillère ou – mieux – avec un « lélé ». Le « lélé », c'est une petite branchette tirée d'un arbuste (le « bois-lélé ») qui a la particularité de faire des ramifications en étoile. En coupant la branchette avec sa terminaison à cinq ou six branches, on obtient un mini-mixeur qu'il suffit de faire tourner entre ses doigts pour brasser parfaitement le fond du verre.

Des glaçons ? ... surtout pas ! ... Bon, si vraiment vous insistez, on ira vous en chercher à la cuisine, mais en principe le Ti' punch se boit sans glaçon, et pour vous convaincre certains vous diront même « attention ... attention ! ... c'est ça qui saoule ! ».







Voilà : à présent le maître de maison peut faire passer les verres, pendant que les accras et les petits boudins fumants arrivent sur la table.
Alors, c'est bon ? Hé ! ... pas si vite ! ... à ce stade, tout en remerciant, chacun met le nez dans son Ti' punch pour humer les arômes subtils qui s'en dégagent ... Et puis, avant de déguster, il reste un geste technique où tout est dans le poignet : rotation lente du liquide et du quartier de citron vert dans le fond du verre, pour parfaire le mélange et combler les plaisirs visuels et olfactifs.

Enfin vient la première gorgée, prélude à une étape immuable du rituel : au delà des sourires de satisfaction, le maître de maison interroge chacun du regard : trop sucré ? ... trop de rhum ?
Les proportions ne dépendent en effet que du goût de chacun, et c'est donc l'étape (facultative) du « réajustage » ... Pour ceux qui le désirent, une rasade supplémentaire de rhum, voire une cuillerée à café de sucre de plus (plus rare ...) viendront parfaire la composition du nectar. Mais attention, le réajustage est un art délicat : la main trop lourde dans un sens ou dans l'autre et un nouveau réajustage devient nécessaire ... avec pour conséquence, bien entendu, que le niveau monte dans le verre !


La conversation s'anime pendant que les verres se vident, alors que les accras ont tous disparu et que les derniers petits boudins refroidissent ... C'est le moment où le maître de maison va immanquablement vous proposer « un 50 % » : une petite rallonge à mi-hauteur, comme son nom l'indique.



Et si la raison vous pousse à refuser, vous aurez du mal à décliner la dernière offre : « un 10 % alors ? ». Enfin, pour certains, ce sera « juste une rincette », un « Ti' 5% », une mini-gloupette de rhum pour mouiller le sucre qui n'aura pas complètement fondu dans le fond du verre.
Voilà : vous comprenez pourquoi on ne fait pas le Ti' punch avec du sirop de canne ?

Au delà du classique Ti' punch, le rituel du rhum (le « Wonm », en créole) peut se décliner à tous les moments de la journée.
Le matin, au lever du jour, ce sera un « ouvré zyé » (ouvre les yeux), autrement appelé « un Ti' décollage », ou encore un « Ti' feu » ou une « mise à feu »!
A la pause de 11 h, juste un « Ti' lagout » (petit verre de rhum sec), pour la forme et l'entrain au travail.
Vers midi, avant le repas, c'est le moment du classique CRS (citron, rhum, sucre), suivi d'un « Ti' 5% » ( petite rasade pour fondre le reste de sucre non dissous). Et s'il ne reste plus de sucre dans le fond du verre, ce sera un « sans dou » (sans doux : sans sucre).
A la pause de 15 h, un « Ti' sèk » (variante sémantique du « Ti' lagout »)
A 17 h, en jouant aux dominos, un « Ti' Pape », hommage pontifical faisant l'objet d'une tournée offerte par le perdant.
Ahhh ... déjà 18 h, le soleil va bientôt passer sous l'horizon, voici (re)venir l'heure du CRS ... Souvent prolongé d'un « 50 % ».
Enfin, avant de partir se coucher, une éventuelle « Partante » (rasade de rhum agricole pur) assurera à chacun la sérénité propice à un bon repos. Pour certains (qui abusent), la « Partante » se transformera en « Péta » (pétard = très généreuse rasade) et là, ce sera fini pour la journée ... à moins qu'un petit dernier particulièrement bien tassé, un « Pété pyé » (celui qui pète les pieds ... sans commentaire ... !) n'oblige à dormir sur place ... Le « Pété pyé » se prépare de préférence avec du rhum agricole de Marie-Galante, le plus fort de tous (59°, juste 31 de moins que l'angle droit !)
Enfin, pour des circonstances particulières, une bouteille de rhum avec un petit additif spécial sortira du placard : le « Pété bwaguet » (celui qui « pète la braguette » ... no comment !)

Mais quoi qu'il en soit, n'oubliez pas la recommandation de base : sachez apprécier, sachez consommer avec modération ... (pardon ! ... « avec modéwation » !)
Chris

Merci encore !

Aucun commentaire: