jeudi 3 décembre 2009

À la rencontre des cétacés

Tiré du magazine "Destination Guadeloupe" du 2/12/2009

Ils se font parfois désirer, mais quel extraordinaire spectacle lorsque des dizaines de dauphins viennent à l'étrave du bateau pour se laisser admirer. L'attente est oubliée et l'émotion est à son comble.
 
Voilà plus d'une heure que le bateau du club des Heures Saines basé à Malendure sur la commune de Bouillante, a quitté le ponton en direction du large, à la rencontre des cétacés, et toujours rien. Les passagers, petits et grands, ont les yeux rivés sur le large dans l'espoir de distinguer une nageoire caudale ou une masse sombre indiquant la présence d'un mammifère marin. Mais les meilleurs indices restent le souffle conique des cachalots ou vertical des baleines, ou encore les gerbes d'eau formées par les sauts des dauphins. Quoi de plus normal ; les cétacés ont des poumons tout comme les hommes et sont contraints de remonter régulièrement à la surface pour respirer. C'est ce souffle qui jaillit tel un panache de vapeur, à chaque expiration.
 
De grands communicants
 
Cédric et Manuella, les deux guides accompagnateurs sont biologistes marins. L'un et l'autre ont suivi une formation au très réputé centre de recherche de Tadoussak, au Québec. Leur présentation, avant le départ, débute par une écoute des bruits enregistrés grâce à l'hydrophone, pendant les « conversations » de ces grands mammifères. Le résultat est fascinant entre les « clics » des dauphins pour se localiser, leurs sifflements pour communiquer, les chuintements des cachalots et les chants gutturaux des baleines à bosse, mâles. L'expérience aidant, les deux biologistes sont en mesure de reconnaître l'espèce mais aussi le sexe et même l'âge des individus. Et si le club des Heures Saines n'est pas un organisme scientifique, toutes les données relevées pendant leurs sorties sont transmises à l'association « Breach » regroupant des vétérinaires, des biologistes et des chercheurs. Laquelle anime également une association en Guadeloupe « Ma baleine mon école » à destination des enfants.
 
La mer n'est pas un zoo
 


Cette zone marine au large de Bouillante est l'une des plus riches de l'archipel. Une quinzaine d'espèces de cétacés ont déjà été repérées sur ces routes migratoires. Les plus présentes sont le cachalot dont les femelles restent ici à l'année, le dauphin tacheté pantropical et la baleine à bosse qui s'installe de décembre à avril, pour la période de reproduction jusqu'à la mise bas. Il arrive aussi de croiser des orques, même s'ils ne résident pas dans ces eaux. Comme le rappelle en plaisantant Olivier Schotte, le responsable du club des Heures Saines, cette visite ne se fait pas dans un zoo avec l'allée des baleines, l'allée des cachalots ou encore des dauphins. « Cette sortie est à chaque fois une nouvelle aventure que nous réalisons ensemble. Il faut s'armer de patience car les rencontres ne sont pas programmées.»




Odontocètes ou mysticètes
 
Les consignes, au départ, sont très claires. Il n'est pas question de se jeter à l'eau au milieu des dauphins, de rester plus de 25 minutes sur une zone d'observation ou de leur lancer de la nourriture. Les humains ne font pas partie de leur environnement. Pour preuve : un dauphin en captivité vit entre 7 et 10 ans et entre 30 et 50 ans dans son milieu naturel. Pendant la traversée, les passagers élargissent leurs connaissances sur ces mammifères marins entre les odontocètes et les mysticètes. Les premiers sont des mangeurs de poissons tel le dauphin qui se nourrit de poissons volants ou le cachalot friand de calamars géants, capable de descendre jusqu'à 3 000 mètres pour les chasser. Ses performances lui ont d'ailleurs valu le surnom de roi de l'apnée. Les baleines appartiennent à la catégorie des mysticètes. Elles ne possèdent pas de dents mais des fanons dont la matière ressemble à celle de nos ongles. Elles filtrent l'eau et ne conservent que le krill et les petits poissons.
 
Une incroyable mise en scène
 
Le bateau est désormais à environ 15 milles des côtes, mais le ronflement des moteurs d'un cargo croisant au large rend quasi impossible l'écoute avec l'hydrophone. Aussi l'équipe décide-t-elle de changer de trajectoire. Les deux guides vont enchaîner les écoutes et une « vigie » sur le toit de l'embarcation scrute inlassablement la mer. Quand soudain des sifflements de dauphins se font entendre distinctement dans leurs casques. En novembre, c'est la période des jeux et de la reproduction. Le groupe est localisé et le bateau se dirige sur lui à faible allure. L'effervescence reprend à bord. Tout le monde se précipite sur le pont pour profiter d'un spectacle féerique mis en scène par des dizaines de dauphins. Gracieux et agiles, ils enchaînent sous les yeux médusés des spectateurs, des sauts, des voltes et des acrobaties. Ils sont au moins une centaine ! Les deux biologistes expliquent que les mères et les petits ont été écartés volontairement du groupe à l'approche du catamaran, pour les protéger. Seuls les mâles sont venus pour attirer l'attention des visiteurs et la détourner de la nurserie. Selon les âges, leur peau et leur museau sont plus ou moins tachetés de blanc. Le haut-parleur de l'hydrophone est branché. Il est alors possible d'entendre les échanges qu'ils ont entre eux et leur souffle.
 
L'art de l'observation
 


Au bout de 25 minutes, les dauphins s'éloignent progressivement du bateau. Cédric explique que ces mammifères ont une façon bien à eux d'exprimer leur exaspération vis-à-vis des hommes. Ils sautent plus vite, plus souvent, et frappent l'eau avec leur queue ou encore font des bulles. « Nous avons remarqué que la présence des embarcations les indiffère le plus souvent. Des mères cachalots vont jusqu'à allaiter leur petit sous le bateau et en période de reproduction, ils nous ignorent totalement. Mais lorsque nous les dérangeons, ils l'expriment. C'est à nous d'être attentifs.»
 
Une véritable prise de conscience
 
Depuis dix ans, les Heures Saintes, au-delà de ses activités de plongée et de canyoning, propose des sorties en pleine mer, à la découverte des cétacés. C'est Olivier Schotte qui dirige aujourd'hui le club. Passionné par ces animaux marins, il a décidé de renforcer cette activité. Les sorties sont programmées plusieurs fois par semaine, le mercredi et le samedi essentiellement, et l'équipe d'accompagnateurs s'est elle aussi étoffée. L'accent est également mis sur les scolaires pour promouvoir cette découverte et donner aux enfants une meilleure connaissance de leur environnement nautique.
 
Pour Olivier Schotte, il n'y a pas plus grand plaisir que de voir des passagers de tout âge, se précipiter le long du bastingage et s'extasier devant le spectacle offert par ces mammifères en liberté. « C'est une vraie charge émotionnelle. Aucun individu ne peut rester indifférent à ce spectacle. Et nous profitons de ces instants magiques pour éveiller les consciences sur l'impérieuse nécessité de protéger ces mammifères marins. »

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